On observe dans nos milieux de garde des exigences de plus en plus grandes de la part des parents. Certains milieux cèdent à la pression des parents et les enfants se retrouvent dans un contexte scolarisant où l’excellence et la performance sont de rigueur. « La fabrique des surdoués », titrait La Presse en septembre dernier. Au programme, cours de pré-lecture, pré-écriture dès l’âge de deux ans; énumérations mathématiques à 3 ans et dès 5 ans pratiques de tests d’admission pour accéder à des écoles élitiques. Pourtant, les enfants qui obtiennent les meilleurs résultats scolaires en mathématiques viennent de Finlande où la scolarisation débute à 7 ans. Quant aux enfants qui accèdent à la maternelle suite à une dérogation scolaire, ils risquent davantage d’échouer une année scolaire. En effet, une étude1 démontre que 75% des enfants qui échouent une année scolaire sont les plus jeunes et qu’ils sont deux fois plus référés pour trouble d’apprentissage. De plus, en France, où les enfants débutent l’école très tôt, on constate certes à l’âge de 5 ans un large vocabulaire mais malgré les apprentissages précoces seulement 10% d’entre eux sont aptes à acquérir les bases de l’apprentissage de la lecture.
Selon les connaissances actuelles, les principaux prédicteurs de la réussite scolaire sont la maitrise du langage, des bonnes compétences sociales et la curiosité intellectuelle. L’imposition d’attentes irréalistes au niveau du développement cognitif crée des situations de stress chez l’enfant. Il se trouve confronté à des exercices qui exigent de lui des processus cognitifs non accessibles par manque de maturation anatomique. Son cerveau peut parfois mémoriser sans toutefois comprendre. Ce gavage intellectuel chez les petits peut provoquer des blocages face aux apprentissages scolaires. Il sape la motivation en lui faisant vivre des situations d’échec à répétition. Lorsque le temps de jeu est utilisé pour des apprentissages non adaptés au niveau de développement de l’enfant celui-ci risque d’être freiné ou ralenti. En effet, le temps qui devrait être alloué aux activités de découvertes d’exploration, de manipulation, de motricité est monopolisé inutilement par des exercices scolarisants visant des connaissances qi peuvent parfois s’acquérir naturellement par le jeu ou qui sont non adaptés aux petits. De plus, le cadre directif des apprentissages scolarisants est peu propice à l’expression de la créativité. Le jeu libre permet à l’enfant de se construire un monde intérieur à son image. Le jeu libre est libre de contraintes, libre de stress, libre d’objectifs prédéterminés.
Par son caractère universel, le jeu représente le meilleur médiateur entre les enfants de toutes origines confondues. Il développe les habiletés langagières particulièrement dans les jeux symboliques qui sont soutenus par le langage. En étant maitre d’œuvre de son univers ludique, l’enfant recrée la réalité et la corrige en fonction de ses désirs. Il évolue donc dans un contexte de valorisation personnelle.
Le jeu donne un sens à certaines situations observées et non comprises. L’enfant reproduit ce qu’il a observé et comprend mieux le contexte. La capacité de l’enfant à faire appel à des représentations mentales lui permet d’exprimer les conflits intériorisés qui l’habitent en projetant à l’extérieur des préoccupations jusque-là non dites.
Le jeu permet la construction d’images mentales. La pensée évocatrice favorise la pratique de l’organisation séquentielle, la mémorisation, l’organisation de la pensée, la décontextualisation, la planification, la décentration et ainsi favorise la conservation des apprentissages.
Le jeu permet l’intégration de différents concepts. Par exemple dans les jeux de sable, l’enfant explore les concepts suivants : poids/mesure, forme/grandeur, pareil/différent, lourd/léger, plus/moins, vitesse d’écoulement, transformation matière (sec/mouillé/évaporation), relations spatiales (dessus/dessous), etc.
Il favorise aussi le développement moteur et la bonne estime de soi de l’enfant. En effet, l’enfance joue sans vivre du stress excessif et vit un sentiment de confiance. Il vit du succès et fait preuve d’autonomie ce qui lui permet de se sentir compétent. Il exprime ses émotions, ses besoins, ses désirs ouvertement ce qui lui permet peu à peu de mieux se connaître.
Lorsque nous permettons à l’enfant de découvrir le monde par le jeu, nous respectons l’expression de sa personnalité. Les enfants ne sont pas des adultes en miniature, hantés par l’avenir. Ce sont des petits d’homme qui ont leurs propres désirs, leurs propres rêves et leur candeur. Ils ont droit au respect de leur rythme, ils ont droit à la joie et au plaisir d’habiter leur univers, la planète enfance.
1 Uphoffet Gilmore 1986 cités dans Du côté des enfants par Germain Duclos, Hôpital Sainte-Justine
Sylvie Bourcier
Intervenante en petite enfance