Chaque moment passé avec un enfant est important, il se construit en éponge sensorielle à partir de ce qu’on lui offre. Lorsqu’on sait que certains enfants passent dix heures pas jour en milieu de garde, il devient donc urgent de faire le point sur certaines pratiques éducatives. Les journées hyper structurées, la banalisation des réactions adaptatives de l’enfant, l’impuissance devant certains enfants, l’automatisation des gestes du quotidien et parfois même la structure organisationnelle peuvent entraîner des dérives. Ces dérapages appelés « douces violences » par, Christine Schuhl sont des moments de courte durée où l’éducatrice n’est plus dans la relation et place l’enfant dans un contexte d’insécurité.

Prenons conscience de certains gestes qui portent atteinte à la personne de l’enfant :

  • Empêcher l’accès à la doudou, c’est déposséder l’enfant de sa source de sécurité et mettre en veilleuse son monde émotif. C’est envoyer un message de non-reconnaissance de la légitimité de ce qu’il ressent et le soustraire d’une partie de lui-même.
  • Les enfants sont capables de soutenir leur attention à raison de 5 minutes par tranche d’âge. Par conséquent, il est irréaliste d’exiger qu’un petit s’affaire à une tâche au-delà de cette période.
  • Non seulement le bruit est source de stress pour l’enfant mais il est aussi démontré qu’une mauvaise acoustique peut nuire au développement du langage. Les discriminations auditives nécessaires au décodage des sons et à la reproduction de ces sons deviennent plus difficiles à exécuter dans un environnement sonore pollué par une multitude de stimuli. L’utilisation abusive de radio pour satisfaire les goûts musicaux de l’éducatrice nuit donc à l’enfant qui s’affaire à décoder, classifier et reproduire les sons qu’il entend.
  • Imposer le sommeil à l’enfant c’est contredire son rythme biologique. Certains enfants deviennent tendus lors des préparatifs à la sieste. Ils ne veulent pas déplaire à leur éducatrice et se sentent impuissants face à ce sommeil qui ne vient pas.
  • Il est très insécurisant pour un bébé ou un enfant qui fréquente depuis peu le CPE de s’endormir sous le regard bienveillant de son éducatrice et de se réveiller à côté d’une autre personne. L’instabilité du personnel est une source importante de stress pour l’enfant.
  • La succession des déplacements génèrent du stress chez l’enfant. Il perd ses repères visuels, développe difficilement un sentiment d’appartenance à son groupe et se sent impuissant. Il subit les allées et venues et la proximité physique des autres. Il doit contrôler ses élans moteurs et abandonner ce qui l’intéresse. C’est pourquoi l’utilisation fréquente de locaux spécialisés est peu recommandée.
  • La succession de consignes en une séquence interminable génère du stress chez l’enfant. L’apprentissage séquentiel est un processus qui se développe peu à peu et qui représente un grand défi pour certains enfants. La consigne doit être écoutée, mémorisée puis exécutée. Elle requiert donc la mémorisation, l’anticipation, la planification et l’évaluation.
  • Qu’il y a des enfants qui sont « évalués » quotidiennement sans avoir la possibilité de se racheter. Les bêtises sont notées, comptées et énumérées systématiquement aux parents. Il y a peu de place à la valorisation, à la reconnaissance du geste positif. Il est stressant de se contrôler toute la journée et surtout de ne pas être reconnu avec bienveillance tout simplement comme un apprenant.
  • Forcer l’enfant à manger ou à goûter c’est renier son droit à ses goûts personnels et dénigrer sa capacité à reconnaître sa satiété.
  • Mélanger tous les ingrédients dans l’assiette de l’enfant sans qu’il en ait fait la demande, c’est nuire à son apprentissage des goûts et renier son droit de préférer ou de refuser certains aliments.
  • Parler au-dessus de la tête de l’enfant sans l’intégrer à la conversation alors que l’on s’entretient d’un sujet qui le concerne c’est le traiter comme s’il n’était pas une personne à part entière.
  • Critiquer un parent devant son enfant c’est nuire à la construction de son identité propre en dénigrant à une partie de lui.
  • Parler entre adultes devant un change ou durant les activités libres, c’est ignorer la présence de l’enfant et son besoin d’être reconnu à travers la relation.
  • Déshabiller systématiquement les enfants aux repas afin qu’ils ne se salissent pas c’est les priver d’un apprentissage essentiel et porter atteinte à leur personne.
  • Laver le visage de l’enfant, le moucher ou encore le prendre pour un change sans le prévenir, c’est lui manquer de respect en se souciant plus de la tâche que de la relation.
  • Passer d’une activité à l’autre sans permettre à l’enfant d’anticiper le changement de se le représenter, c’est l’empêcher de donner un sens à ce qu’on lui propose.

 

Ces gestes répétés s’inscrivent dans le bagage affectif de l’enfant. Il subit ces dérives sans avoir à se prononcer comme si son corps, ses sensations ne lui appartenaient pas. S’il n’est pas considéré comme une personne à part entière comment peut-il grandir en ayant confiance en lui et en l’autre.
Quand le principe de la collectivité prend le dessus sur le respect de l’individualité l’enfant est bousculé, assimilé au groupe, au mépris de ses goûts, de son rythme, de ses vulnérabilités et l’éducatrice perd l’essence même de sa profession la gratification de la relation.