Les exigences des parents  par Sylvie Bourcier

 

 

Les éducatrices se trouvent confrontées à des demandes parentales difficilement conciliables avec le contexte du groupe d’enfants. Soustraire un enfant à la sortie extérieure journalière en est un exemple. Ces exigences prennent parfois l’allure de critiques aux éducatrices. Le premier réflexe de certaines éducatrices est de défendre avec véhémence leurs pratiques avec pour résultat une escalade d’arguments improductifs. Elles ont alors l’impression que ces parents ne les apprécient pas à leur juste valeur. Certaines développent une forme d’aversion ou l’évitement de ces parents exigeants devient un mécanisme de défense, de protection. D’autres se remettent en question et voient leur sentiment de compétence s’affaiblir. Certaines cherchent à trouver les failles éducationnelles de ces parents pour ensuite les confronter. Quelque soit la réponse des éducatrices aux exigences perçues comme excessives, il est convenu qu’il s’agit d’un mécanisme qui cherche à maintenir le sentiment d’efficacité et de compétence des professionnelles.

En tentant de comprendre ce qui sous-tend ces exigences parentales nous visons d’une part à mieux rejoindre et répondre aux besoins des parents et des enfants et d’autre part, à affirmer la pertinence des pratiques éducatives mises de l’avant par le milieu de garde.

Être un parent est un dur métier tissé de joies, de doutes, d’inquiétudes. Le désir de protéger son enfant des alias de la vie des dangers, des microbes, des copains trop enthousiastes anime les parents. Les kangourous éprouvent de la difficulté à laisser leur petit bébé kangourou sauter hors du nid familial. Un papa me demande de lui garantir que sa petite Léa ne se fera plus bousculer par les trottineurs de son groupe. Une maman téléphone à chaque jour pour avoir des nouvelles de sa petite Maïka 3 ans et ce depuis son entrée à la garderie il y a 4 mois. Il faut chercher ce qui inquiète le parent, le rassurer, l’aider à décoder les signes, les besoins, qu’émet son enfant. Nous invitons la maman de Maïka d’observer ce que fait sa fille lorsqu’elle vient la chercher ou la déposer le matin. Maïka rit, s’introduit facilement dans le groupe à l’accueil.

Nous lui demandons ce qui l’inquiète malgré les signes d’adaptation de sa fille au milieu de garde. « Elle est tellement lente lorsqu’elle mange. A-t-elle le temps de finir son assiette? » Il est parfois difficile pour l’éducatrice de savoir la nature des préoccupations des parents. Il est donc nécessaire d’échanger librement sans avoir en arrière pensée l’hypothèse que le parent ne nous fait pas confiance. Quant à Léa les bousculades sont observées lors d’un conflit de territoire. Elle prend la place assignée d’un copain et ce dernier la pousse. Nous informons donc le papa que nous soutenons Léa dans l’apprentissage de l’espace personnel (ma place, ta place) et enseignons aux trottineurs à nommer leur besoin (c’est ma chaise, non!).

L’ignorance du contexte de groupe peut aussi explique les exigences. Le parent qui demande de garder son enfant enrhumé à l’intérieur cherche surement à le protéger du froid. Il faut donc lui expliquer en quoi sa demande est difficile à réaliser. « Je comprends votre souci mais je vois pas comment je pourrai respecter l’exigence de la sortie extérieure pour le groupe et être auprès de votre enfant. Je suis responsable de tout mon groupe. Il est difficile de le laisser à l’intérieur nous sommes contraints de respecter le ratio. C’est une question de sécurité. Par contre, soyez assurée que je veillerai à ce que votre enfant soit bien au chaud dans ses vêtements et je garderai un œil attentif. Je vous aviserai si sa condition change. »

Il s’agit d’un parent qui désire que son enfant ne se salisse pas alors que les jeux extérieurs peuvent entacher les vêtements, nous lui demandons d’apporter des vêtements de jeu ou des tabliers. Un papa, pour qui vêtir sa fille joliment était très important, un signe d’investissement affectif, a préféré un grand tablier plutôt que des vêtements qu’il considérait moins seyants.

Laissez-moi vous raconter une anecdote pour vous illustrer une autre raison susceptible d’expliquer certaines exigences ou critiques. Je supervisais une stagiaire finissante dans un groupe d’enfants âgés de 2-3 ans. Cette éducatrice excellait dans sa profession. Elle réussissait à garder un climat calme et enjoué, elle avait une gestion de groupe irréprochable, … une perle. La maman de jumelles identiques lui reprochait des négligences banales. Par exemple, la chaussure gauche d’une jumelle mise dans le pied gauche de sa sœur alors qu’elles portaient les mêmes vêtements et chaussures, la tuque déplacée momentanément qui ne couvre pas totalement les oreilles… Enfin, des détails sans impact important. En échangeant avec la stagiaire, nous constatons que cette mère semble parfois dépassée par la situation exigeante certes d’être parent de jumelles de 2 ans. Alors qu’elle tient la main de l’une, l’autre se sauve dans la rue ou en déshabillant une fillette, sa sœur disparait du vestiaire. Nous tentons une intervention en s’appuyant sur l’hypothèse qu’il est rassurant pour la mère de noter les failles de l’éducatrice. Elle n’est pas la seule à être parfois dépassée. Beaucoup de parents sont trop  exigeants envers eux-mêmes. Nous nous donnons donc comme objectif de valoriser la mère. Par exemple, elle a pensé à apporter les bottes de pluie, elle a félicité les bricolages, etc. Peu à peu, la fréquence des critiques et des exigences a diminué. Mettre en lumière les compétences parentales permet d’établir un pont, un lieu de respect mutuel.

L’histoire propre du parent peut aussi, par exemple des histoires d’abus, expliquer ses demandes. Une mère exige que sa fille soit changée de groupe, puisque le titulaire de son groupe est un homme. L’éducateur devra donc expliquer les modalités prévues dans son milieu pour prévenir toute forme d’abus : le travail d’équipe, les fenêtres permettant d’avoir un accès visuel en tout temps, la formation et l’expérience du personnel, etc. Voici donc des moyens pour faciliter les échanges :

  • Permettre aux parents de mieux connaitre le milieu collectif, ses joies et ses contraintes en l’invitant à participer à des sorties, des fêtes, en le laissant observer ce qui s’y passe et en racontant des anecdotes du quotidien. Ses demandes pourront alors être plus conciliables avec le contexte de groupe.
  • Accueillir les inquiétudes des parents, chercher à les comprendre sans juger pour ainsi mieux les rassurer.
  • Valoriser les compétences des parents afin qu’ils se mobilisent en toute confiance pour l’éducation de leur enfant. Nous évitons aussi la décharge totale de la responsabilité sur l’éducatrice.

 

par Sylvie Bourcier